* Un mot pour un Ange. [ Pv ]

Un grand étalon galopait. Il galopait depuis des heures, il semblait chercher l’épuisement, coûte que coûte. Il semblait vouloir galoper jusqu’à ce que ses membres refusent d’en faire plus, jusqu’à ce que son souffle vienne à manquer, jusqu’à tomber d’épuisement. Mais il semblait plus coriace qu’il le croyait. Sa robe, d’habitude si noire et brillante, était recouverte d’une couche d’écume impressionnante, sur les épaules, les membres et la base de l’encolure. Le reste n’était que luisance de sueur. Ses naseaux étaient extrêmement dilatés, cherchant l’air frais, parmi la chaleur ambiante, et l’air lourd. En colère, comme souvent ces jours-ci, l’étalon s’arrêta net en haut du canyon. Ses antérieurs quittèrent le sol, et se soulevèrent avec grâce vers le ciel. Un hennissement rauque lui échappa, ressemblant plus à un grognement qu’à autre chose. Puis il s’immobilisa. Si ses flancs ne se soulevaient pas à une allure folle, on aurait pu croire à une statue, gravée dans le marbre.

Tu n’avais pas le droit Pearl, pas le droit de partir si vite. Tu m’as laissé seul, en partant si rapidement. Aujourd’hui, je regarde les étoiles en espérant te voir. Tu sais, souvent encore je me retourne. Quand le vent souffle, j’ai l’impression d’entendre ton galop derrière moi, j’ai l’impression que d’un instant à l’autre, tu vas venir à mes côtés. Mais quand je me retourne, je réalise que tu m’as laissé. J’aurais tout donné pour sentir de nouveau tes doux naseaux sur mon encolure, et ton souffle chaud sous mes crins. Tu étais aussi blanche que j’étais noir, tu étais aussi douce que j’étais arrogant. Alors toi, ma petite perle, comment as-tu pu me laisser seul ?

Je sais, je ne devrais pas inverser ainsi les rôles. Tu ne demandais qu’à vivre. Tu ne demandais qu’à avoir une petite place dans mon cœur. Qu’à voir dans mes yeux un amour semblable au tien. Je suis tellement désolé. Désolé de t’avoir tant repoussé, désolé de t’avoir tant humilié, de t’avoir blessé. De t’avoir tuée, ma petite Pearl. Me pardonneras-tu un jour ? Mon cœur souffre, ma belle. Tu faisais tellement attention aux autres, pourquoi alors, n’as-tu pas pris mon cœur avec toi ? Je sais que tu en aurais pris soin...

L’étalon baissa subitement la tête, ses crins lui retombèrent devant les yeux. Quand la solitude lui pesait, il n’était pas rare qu’il se laisse alors dans ses pensées, ses souvenirs. Aujourd’hui, il a fait un pas vers l’avant. Il a accepté sa disparition. Il aurait voulu lui adresser un petit mot. A celle qui faisait à présent partie des anges. Oui, un mot pour un ange...

U

Comment savoir que celle qu’il prenait pour un ange, celle qu’il croyait disparue à jamais, se tenait seulement à quelques mètres de lui ? Jamais il n’aurait pu l’imaginer. Certes, quelques fois il l’avait espéré. Espéré revoir son beau regard, son sourire angélique, son rire mélodieux. Espérer la revoir, elle, tout simplement. Et ce, ne serait-ce qu’une heure, quelques minutes, quelques secondes même. Celle qu’il avait tant de fois repoussé, mais qu’il, au fond, aimait plus que tout. Comment savoir, également, que dans quelques temps, il souffrirait une seconde fois, mais pas de la même façon ?

Mon regard se perdait dans le ciel, qui se parsemait de milliers d’étoiles. Une fois encore, rien autour n’avait de sens. Tout était irréel, endormi, lointain. Cependant, le vent, soufflant dans ma direction m’apportait une odeur qui eut pour effet d’attirer tous mes sens, si peu en alerte. Mes oreilles pivotèrent discrètement vers l’arrière. J’avais entendu ce qui me semblait être des bruits de pas. Une nouvelle fois, mon cœur, si abîmé alors, se mit à battre la chamade. Mes muscles se tendirent dangereusement et je me surpris à hésiter. Me retourner, ou non ? Être une nouvelle fois déçu ? Au fond, pourquoi m’entêter à espérer quelque chose d’impossible. Pauvre fou, ce n’est pas parce que tu le veux de tout ton être que tu verras ta belle apparaître derrière toi. Mais une fois, seulement une fois, je veux encore en être sûr...

Alors je me retournai, tandis que la nuit tombait autour de moi. C’est là que je crus que j’allais y passer. Mon cœur sembla rater un battement, ma respiration s’était bloquée. Le temps s’était arrêté. Devant moi... Elle était devant moi... Alors, si on espère fort quelque chose, cette chose se réalise-t-elle ? Elle était semblable à mon souvenir. Si belle... Si belle. Son regard, son sourire. Ses yeux doux et envoûtant. Oh Pearl...

Comment l’étalon pouvait-il savoir que celle qui lui avait volé son cœur, était quelqu’un de bien différent. Que Pearl, était en fait Houna Linaïé ? Comme pouvait ne serait-ce que se douter qu’elle le manipulait ? Qu’elle jouait avec lui comme avec un vulgaire pantin ? Oh, mais Foglian a beau avoir tous les défauts du monde, il porte une confiance aveugle en cette belle jument. Sans attendre plus longtemps, sans même retrouver ses esprits, et détala vers elle. Son regard n’était plus las, ni même fatigué. C’était de nouveau ce regard rempli de vie et de jeunesse. D’amour et de tendresse. Les mots ne vinrent pas pour expliquer ce qu’il ressentait à la jument. Il s’arrêta un instant devant elle, puis il se blottit tout contre son corps chaud. Quelque chose qu’il n’avait pas accepté avant. Elle n’avait pas changé, oh, si seulement il savait...

Son toupet lui retomba devant les yeux, il les ferma. Jamais il n’avait senti de pareille sensation. Un si grand bonheur.

« Je t’aime... «

Non. Il ne demandait pas d’explication. Il ne lui disait pas non plus combien elle lui avait manqué. Si cette jument n’était qu’un mirage, alors il devait lui dire ce qu’il y avait de plus important. Il l’aimait, mais jamais il ne le lui avait dit.

L

" Moi aussi... "

Moi aussi...

Je sais que mon cœur aurait du exploser de joie. Au lieu de cela, il s’est serré. Comment expliquer cette sensation étrange ? Mon sang se glaça à la pensée qu’elle puisse avoir rencontré un autre étalon. Après tout, c’était son droit, elle était libre, comme moi j’étais également libre. Mais la pensée qu’un autre étalon lui ait accaparé une part de son cœur me fit frissonner. Tu n’as pas changé, petite Pearl. Tu es toujours semblable à mon souvenir. Si belle et si frêle. Je devrais te faire entièrement confiance, pourtant, j’ai l’impression de ne pas être le seul. Ou était-ce encore autre chose, dis-moi ? Non, je ne t’embêterai pas avec mes questions. Tu es là, et c’est le plus important. Combien de temps avais-je attendu, surtout rêvé de ce moment ? J’imaginais pourtant nos retrouvailles différentes. Des explosions de joie, peut-être même des larmes. Oh, ne m’en veux pas, je n’ai jamais été très doué pour exprimer mes émotions. Mais mon regard brillant et mon excitation traduisent parfaitement le joie que ton retour me procure.

L’étalon resta un long moment silencieux, s’imprégnant au maximum de son odeur. Comme si elle allait d’un coup partir, le quitter à nouveau. S’imprégner de sa présence pour que son souvenir reste à jamais gravé dans sa mémoire. Au bout d’un moment, ses naseaux soufflèrent doucement sous son encolure, comme elle le lui avait un jour fait. Il joua légèrement avec ses crins, agitant légèrement la tête. Il se décala légèrement de la belle jument, et plongea son regard dans le sien. Ses yeux semblaient si sincères et amoureux qu’il ne douta pas un moment de ses projets, de ses sombres pensées et de sa véritable personnalité. Pour lui, la petite Pearl qu’il avait devant lui ne pouvait être autrement. Inutile de préciser combien il souffrirait si elle le laissait, si elle lui mentait. Pire encore, si elle le manipulait. Sa vie n’aurait plus de sens, plus de but. Il l’aurait perdue une seconde fois, mais il se serait perdu avec.

L’étalon ne sourit pas, mais dans son regard brillait des petites étincelles, semblables aux milliards d’étoiles qui parsemaient le ciel. Ses naseaux se posèrent avec douceur et attention sur le chanfrein de la jument. Il était plus grand, et en profita pour lui ébouriffer les crins, entre les oreilles. Il ferma de nouveau les yeux, se reculant, puis laissant son regard bercer dans celui de la jument. Non, il n’était pas stupide de l’aimer aveuglément ainsi. Il était seulement très amoureux, et malheureusement, donnait trop vite sa confiance.

« Ne pars plus, je t’en prie. Je ne pourrais le supporter... «

Là, un mince sourire l’illumina. Il se cabra légèrement et fit demi-tour. Il se mit à trotter autour d’elle, resserrant peu à peu son cercle. Comme il l’avait fait maintes fois dans le passé. Il la frôla plusieurs fois, de ses doux naseaux, sur les flancs de la belle. Sa vie avait retrouvé son sens, ses journées leur soleil, la nature sa couleur.

H

" Je ne partirais plus jamais, je te le jure mon beau... "

Etait-il possible que la belle ne le soit qu’extérieurement ? Le pauvre étalon la voyait parfaite aussi bien intérieurement que physiquement. Quel naïf était-il... Mais l’amour rend aveugle, ne le dit-on pas ? Il la connaissait depuis un bout de temps maintenant. Depuis qu’elle était une pouliche. Lui était bien plus vieux, sensé être plus réfléchi et méfiant. Pourtant, c’était lui qui tombait dans le panneau. La belle devait s’amuser comme une folle, lui ne marche pas dans son plan, il y court ! Il ferait presque pitié. Mais il l’aime, tout simplement...

Qu’était-ce donc que cette délicate odeur dans l’air ? Une odeur féminine, typique d’une femelle en chaleur. Foglian était un étalon, et comme tout étalon qui se respecte, il n’était pas insensible à cette période, et au charme soudain plus fort encore, de la belle Pearl. Il s’éloigna de nouveau, élargissant ses cercles autour de la jument. Ses oreilles s’étaient soudainement dressées vers l’avant, et son regard ne quittait pas la petite femelle. Ses muscles roulaient plus puissamment sous sa jolie robe noire. Sa queue s’était dressée en panache, et son encolure s’était légèrement courbée. Plusieurs fois, il la frôla à la croupe, espérant lui faire comprendre ce qu’il désirait. Non, il ne fait pas de saillies pour son propre plaisir toutes les juments qui passent sous ses naseaux, il n’est pas non plus un bourreau des cœurs. Il l’aime, et pourquoi alors, ne pas tenter de fonder leur propre famille ?

Qu’en dis-tu, Pearl ? Ne voudrais-tu pas un poulain, avec moi ? Fonder une famille... N’était-ce pas le rêve de toute jument ? Tu es encore jeune, belle Pearl, mais à deux on y arrivera... Je serai alors sûr que tu ne partiras plus, peut-être sûr aussi, sur tous les doutes que j’ai en ce moment. Je veux te rendre heureuse, par tous les moyens...

L’étalon ne se rendait pas compte qu’il venait peut-être de mettre des bâtons dans les roues de la belle jument. Ca n’était certainement pas dans ses plans d’avoir un poulain avec Foglian. Quelle serait sa réaction ?

« Veux-tu une famille, Pearl ? «

Pearl... Une nouvelle fois, elle s’était jouée de lui. Non, il ne s’agissait pas de Pearl, mais quand le lui avouera-t-elle ? Mieux vaut que ce soit le plus tard possible, petit Foglian.

L

" Oh, j'aimerais tant mon beau, mais je suis jeune, je ne me sens pas capable... Cela te dirait d'attendre la prochaine saison ? "

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